JoeyStarr quitte l’acide et le graff pour suprême NTM
Didier Morville, a.k.a. JoeyStarr, naît le 27 octobre 1967 à Saint-Denis.
Ses parents sont originaires des Antilles.
Ses parents divorcent dans les toutes premières années du petit Joey.
« Mon père était un séducteur, un vrai bellâtre des Antilles, clair de peau, ce qu’on appelle là-bas un Chabin, yeux gris pétillants d’humour, petite moustache… Après le divorce, installé seul avec lui, je vais voir passer beaucoup de femmes dans notre petit appartement de Saint-Denis. À l’heure d’aujourd’hui, grâce à ce chaud lapin, on ne sait toujours pas combien on est de frères dans la famille. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Malgré un tempérament impulsif et violent, le père obtient la garde de son fils. A partir de ce moment, Joey n’entend plus jamais parlé de sa mère. Sujet tabou.
« En fait, dans toute mon enfance, j’ai revu une fois ma mère. Le jour de mes cinq ans, elle est venue pour m’apporter deux ou trois cadeaux emballés dans du beau papier. Ce jour-là, on sonne à la porte de notre petit appartement. Mon père ouvre. C’est la gardienne : ‘’Une dame sur le parking m’a donné ça pour Didier.’’ Mon père prend les paquets, sort sans un mot et les jette à la poubelle. Je le suis à distance. Arrivant devant la cité, je tombe sur une scène incroyable : une dame que je ne reconnais pas sur l’instant pleure : ‘’C’est mon fils, j’ai le droit de le voir!’’ Et mon père en train de la violenter : ‘’Dégage! Dégage! Dégage!’’. Ensuite, chaque fois que j’essaierai d’obtenir des nouvelles de ma mère, mon père me répétait que ma mère était morte. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
L’école primaire
Didier Morville intègre l’école primaire dans un établissement qui porte un nom proche du sien : Marville. Ça a le don de faire marrer les autres élèves qui n’en ratent pas une pour se moquer du petit Didier.
« En plus, dans cette école, il nous fallait une blouse. Dès le CE1, il la fallait cette blouse. Trois ans d’affilée, mon père a refusé de me l’acheter. Je me suis tellement fait engueuler par les profs, à un moment, je suis allé à l’école en veste de pyjama, à faire pisser toute la classe de rire. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
L’école, Didier s’en moque royalement. Mais c’est le seul endroit où son père lui fout la paix.
« Oui, j’aime jeter les chaises par la fenêtre, oui j’aime gueuler: ‘’Enculé!’’ pendant que la prof écrit au tableau, oui j’aime venir avec des règles en plastique aiguisées et affûtées pour aller me battre avec les minots de la cité d’à côté. Je ne suis pas un adolescent agressif, ni spécial. Par contre, dès qu’il y a une connerie à faire, c’est ouvert. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Les colonies de vacances et la Martinique
Quand vient les vacances d’été, papa Morville n’est toujours pas disposé à s’occuper de son fils. Il l’envoie dans les colonies de vacances de Saint-Denis. Au bout de trois étés, les moniteurs n’en peuvent plus, la colonie de vacances ferme ses portes au petit Didier Morville. Son père décide alors de l’envoyer passer tous ses étés en Martinique.
« Au bout de quatre étés, je n’en avais plus rien à foutre des Antilles. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Le pensionnat
À force de déconner, Didier se retrouve pensionnaire à Clamart.
« En pension, on est tous livrés à nous-mêmes entre branleurs. Mais après ce que je viens de vivre chez mon père, franchement, c’est des vacances. En cours, je ne fous rien. Mon père paie la pension, je semble là pour longtemps. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Pas si longtemps que ça. Il se fait virer de la pension après avoir tout saccagé chez les parents d’un de ses camarades de classe. Il se retrouve au lycée public La Boucherie à Saint-Denis et redouble de conneries. Son père lui trouve une autre pension, à une heure et demie de chez lui, à Joinville.
La défonce
« Sur les toits de la cité Allende, on s’était mis à la colle à rustines, c’était la mode dans les banlieues. Les gardiens nous envoyaient les flics. Du coup on partait sur Paris, sniffant notre colle à même la main. Ça a pris de telles proportions que la colle à rustines a été interdite à la vente aux moins de seize ans sur tout le département. Chez moi, je me défonce dans les toilettes. Mon père ne voyait rien. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Il faut dire que le père ne fait pas beaucoup attention à son fils. Le jour où Joey fume son premier joint, à 13 ans, personne ne le remarque. Et les allergies récurrentes du petit Joey servent d’excuse, il ne se fera jamais grillé.
Joey ne se défonce pas systématiquement. Il mettra du temps avant de fumer régulièrement, il faudra attendre l’arrivée de la danse et de la musique dans sa vie.
La danse
Un été, Didier est scotché devant des Américains en train de breaker sur le parvis du Trocadéro. C’est pour lui une révélation, la révélation hip-hop.
« Du coup, je continue à voler, mais j’arrête de revendre du shit en bas de chez moi. J’ai envie de bouger. Chaque matin, je pars avec mon sac d’école. Je le planque, saute dans le métro et je fonce à Trocadéro. Dans cette première équipe de danseurs, il y a des types d’Actuel Force, des Requins Vicieux. Nous ne sommes pas dans une logique d’agression, de force. Uniquement de danse. On fait des trucs mortels. De temps en temps, on va faire des exhibitions en province. On prend un train Corail jusqu’à Deauville ou Biarritz. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Dans les villes de province, Didier et ses potes dansent dans la rue. Les gens sont médusés, ils n’ont jamais vu ce genre de danse. Ils parviennent à se faire pas mal d’argent, jusqu’à 3 000 francs en cinq jours. Didier s’investit à fond dans le break, les années collèges sont relayées au second plan.
C’est à cette période qu’il rencontre Bruno, un autre breaker qui deviendra son acolyte de scène : Kool Shen.
Voyage en Italie
A 16 ans, Didier est irrécupérable dans le système scolaire. De toute façon, il n’y a plus que la danse qui compte pour lui. Un jour, quelqu’un lui propose de l’emmener danser une semaine à Milan.
« Nous sommes quatre à partir, Tony, Evans, Maurice et moi. Voilà comment on se retrouve tous en Italie à faire deux ou trois spectacles à la Kundalia, la plus grosse école de danse moderne de Milan. Un jour, un type de l’école a une idée : ‘’Et si vous donniez des cours?’’. On accepte. On va rester super longtemps, un an et demi à danser en Italie. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Les quatre français donnent des cours, dansent dans les défilés de mode, passent parfois à la télé et finissent même par avoir un petit groupe de fans qui les suit à la trace.
Les danseurs participent au Carnaval de Venise, sur un char affrété par la Kundalia. Mais la cadence est infernale et le directeur ne les rémunère pas à leur juste valeur. Joey claque la porte du jour au lendemain et retourne à Saint-Denis.
« Je n’avais pas parlé à mon père depuis un an et demi. À mon retour, il ne me pose aucune question. Il se conduit comme si j’étais sorti une heure et que je venais juste de rentrer. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
La cité, pas d’avenir
A son retour en France, il continue de danser, mais ce n’est plus pareil. Il se lève pourtant à l’aube dès qu’une salle est dispo à Créteil ou Châtillon. Kool Shen l’aide à porter le rouleau de lino qui entre à peine dans une rame de métro.
« J’ai presque 18 ans. L’argent ramené d’Italie partant très vite, je me mets à traîner avec les bandes de Saint-Denis. À nouveau sans le sou, je vole des scooters, des intérieurs de voiture, puis carrément les voitures elles-mêmes. On fonctionne en équipe. Ça n’ira pas jusqu’au braquage, jamais. On voulait juste des pépètes pour sortir le soir. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Il est à trois mois de l’armée, c’est le moment où jamais pour foutre le bordel.
L’armée
Didier intègre le premier régiment des Cuirassiers de Saint-Wendel, en Allemagne. La ville est entourée de casernes américaines, anglaises et françaises. Les soldats s’y donnent rendez-vous le week-end pour décompresser. Didier, lui, doit rester au camp pour purger ses peines d’insoumission.
« À l’époque, quand tu fais ton service en Allemagne, tu dois faire onze mois et demi. Je vais faire du rab, beaucoup de rab. M’inscrivant rapidement dans le top ten des fauteurs de trouble, ce sont carrément dix-neuf mois que je vais passer là. Inutile de vous dire que mon père est tout content de cette situation, voilà, son fils est à l’armée, super. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Au total, Didier passe 130 jours au trou et quatre semaines à la forteresse. Quand il arrive à récupérer un week-end de libre, ses potes Kool Shen et Chino l’attendent Gare de l’Est. Dans leurs sacs : des dizaines de bombes de peinture.
Le graff et l’acide
« Quand j’arrive à Paris, je ne mets pas les pieds à Saint-Denis du week-end. Je préfère définitivement les passer dans le métro, du vendredi au dimanche soir, je peins. Je peins tout le week-end, je dors dans le métro, le graff est mon bol d’air. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Après l’armée, Joey et son père se clashent pour de bon. Il quitte le domicile familial et commence des semaines de galère dans le métro. Il en profite pour faire ses plus grosses œuvres à la bombe.
Joey passe ses journées dehors. Il rencontre plein de gens, la drogue et l’alcool sont omniprésents. Il va même jusqu’à fumer de l’héroïne.
« Durant ces années graffiti, je tire sur la corde. Ça tourne toujours et il y a toujours quelqu’un de chargé. Pourtant, je viens d’une cité où pas mal de gens sont morts d’overdose. J’aurais dû recevoir le message. Eh bien non, ça ne m’a pas parlé. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
Et enfin le rap
JoeyStarr aurait pu mal tourner, jusqu’au jour où le rap s’invite dans le quotidien. Après la danse et le graff, Joey se met à pondre des textes avec Kool Shen dans la cuisine de Franck, alias DJ S, avant de partir repeindre les trains. Ce qui était occasionnel devient vite une habitude.
« Nous n’avions pas de flow, mais une dynamique. Nous hurlions des textes posés sur des BPM super rapides, à la mitraillette. » (Mauvaise réputation, Joeystarr avec Philippe Manœuvre, Flammarion, 2006)
C’est en juillet 1989 que Suprême NTM se constitue officiellement. Le groupe monte sur scène devant un millier de personnes à l’Élysée Montmartre avec un JoeyStarr des grands soirs. Il est sous acide depuis 72 heures et d’emblée, sort ses cris et le jeu de scène qui le rendront célèbre.
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