Détroit – « Horizons »
Dire que le premier album de Détroit fut attendu relève de l’euphémisme tant les suppositions, les commentaires ont plu sur ce retour de Bertrand Cantat en duo avec le bassiste Pascal Humbert. Force est de constater que c’est un retour gagnant que nous offre l’ex Noir Désir au travers d’un album fouillé, rugueux et à la densité impressionnante.
Dès les premiers accords, on retrouve cette voix si caractéristique qui a rythmé durant les années 90 le rock français dont Noir Désir fut le représentant pratiquement unique. Toujours autant écorché et rauque, Bertrand Cantat ne semble pas avoir perdu son esthétisme vocal et cette façon qui n’appartient qu’à lui de scander ses textes. Au travers d’un arrangement parcellaire et nuancé, Bertrand semble reprendre là où il s’était arrêté artistiquement nous présentant une sorte de suite logique à « Des visages des figures ».
On pouvait s’attendre à un album en forme de redite, mais on réalise rapidement que Détroit innove et creuse son sillon dans une musique sèche, brute, complexe et foisonnante d’inventivité à l’image de ce « Terre Brûlante » où telle une âme esseulée et perdue la voix de Cantat semble débiter ses paroles dans une sorte de désespoir esthétique apportant une atmosphère intense lumineuse par son foisonnement musical et sombre par son texte sans compromission.
Travaillé en terme de son, Détroit propose aussi une approche structurelle intéressante séparant par 2 intermèdes, « Détroit – 1 » et « Détroit – 2 », 3 parties aux ambiances radicalement différentes. Un véritable contraste s’installe entre la première partie foisonnante en terme de sonorités et troisième partie beaucoup plus légère. Quant à la deuxième partie, personnelle, froide et extrêmement brute elle apporte deux des plus beaux morceaux de l’album.
Il y a d’abord cet « Ange de désolation » au texte abordant la souffrance d’un homme face à la disparition d’un être cher. Difficile de ne pas voir un lien avec la propre histoire du chanteur. Le bordelais fendu et fissuré s’illumine et rend solaire ce morceau brut et sans concession. Bertrand Cantat nous livre un titre puissant dont il a le secret, mettant en place un contraste fort entre sa voix à vif et rugueuse au milieu d’un arrangement à l’élégance rock et à la nuance électro. Mais c’est surtout sur le sublime « Horizon » que l’album prend tout son sens.
Abordant nettement la prison, le titre très troublant au texte juste et d’une beauté irradiante, ne laisse pas indifférent. Il y a dans ce morceau une sorte de volonté affichée de tout donner sans filtre, mettre ses tripes à nu, vider son sac une bonne fois pour toute, se séparer de ses démons, de cette maladie qui guette,de cette folie qui mainte fois à sembler l’engloutir, de ces souvenirs qui dérangent et qui le poursuivent, le tout dans un arrangement fait de sons épars et cohérents qui en s’entrechoquant dessinent un feu d’artifice sonore à tomber.
La musique de Détroit, loin de proposer une copie réchauffée des grandes heures de Noir Désir, nous apporte notamment sur « Droit dans le soleil » une vision plus tranchante, sur le fil, nous faisant découvrir un groupe dont le leader rongé, fou, tortueux, complexe, grave et triste réussit finalement à rendre ce désarroi lumineux et solaire.
Retrouvant le rock des années 90 au travers d’un « Le creux de ta main » en forme de revival, Détroit semble tout de même se perdre dans certains titres en anglais où la voix du leader devient commune, ou encore sur des titres à la légèreté feinte sonnant faux à l’image de « Sa majesté ».
De retour sur le devant de la scène 10 ans après le drame de Vilnius, Bertrand Cantat nous déroule son univers toujours aussi sombre et rude aidé par Pascal Humbert dans un album impressionnant de justesse, irradiant un rock sans concession, grave et sombre. Cantat semble ne rien avoir rien perdu de sa créativité et de son côté revendicateur. Preuve en est avec le dernier titre de cet album. Prédestiné ou ultime provocation, sur un arrangement à l’électro minimaliste et rugueux, Détroit se lance dans une reprise habitée de « Avec le temps » de Léo Ferré. « Avec le temps tout s’évanouit » chante Cantat, rien n’est moins sûr…
Arnaud Le Tillau
arnaud.letillau@quai-baco.com
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