Stromae – « Racine Carrée »
Né d’un père rwandais et d’une mère belge, Stromae alias Paul Van Haver a toujours été tiraillé entre deux cultures, deux visions du monde, chose qu’il présente de façon très réaliste sur ce nouvel album. Dans ce mélange décalé de dance et de chanson francophone, le belge nous sert un album d’une intensité troublante.
Démarrant sur « Ta Fête », titre terne et générique au refrain facile et sans réelle accroche, Stromae semble nous revenir avec les mêmes armes qui ont fait son succès. Mais on en attend plus du jeune belge.
Ce n’est à mon sens qu’à partir du deuxième titre « Papaoutai » que l’on entre dans le vif du sujet. Au travers d’un titre mélodique à souhait, aux arrangements travaillés et prenant, Stromae nous impressionne en s’appropriant une rythmique digne des Magic System dansante et calibrée pour le club mais en y insufflant une matière vocale et textuelle à tomber.Il retourne le message induit par ce son en insufflant une dose de réalisme touchant dans le mille faisant clairement écho à sa propre expérience d’orphelin.
C’est encore de lui qu’il nous semble parler sur « Bâtard » dénonçant le racisme ordinaire et la place de l’extrémisme dans nos société. Utilisant une musique brute et dansante on a cette impression de violence dans ces différents messages que seul semble apaiser un son brut et tranchant. La musique du jeune belge semble crier pour lui.
Collage complexe et maîtrisé de différentes cultures dominé par le clubbing, Stromae réussit à faire sonner la musique proche de la techno et de la dance avec une chanson française aux différentes influences.
Posant à l’écrit ses souffrances à sa manière, il apparait proche de Cesaria Evora dans son approche de la musique et de cette sodade triste mais résignée qu’il réussit à transcrire dans son style sur « Ave Cesaria ».
Mais le belge est avant tout un impressionnant auteur. Ainsi « Formidable », titre tubuesque, hors du temps, profond, moderne et inclassable, les mots manquent pour cette magnifique chanson mise en lumière au travers d’un clip non moins culte. Le belge réussit dès son deuxième album à être comparé à Jacques Brel, pourtant on pourrait plus parler d’un Arno dans la diction et dans cette profondeur sans espoir, juste, criante de vérité et à la fois inébranlable.
De la même façon, « Quand c’est » nous confirme cette appétence pour les textes durs, réalistes souvent sans espoir typique d’une génération dite « perdue » ou « Carmen », digression sur Twitter au travers d’une reprise très enlevée du chef d’œuvre de Bizet dénonçant les dangers des réseaux sociaux.
Alors oui, certains crieront à la mauvaise farce mais force est de constater que plus qu’une reprise, Stromae transpose ce titre à notre époque avec les mots d’une génération.
Le reste de l’album se partage entre titres aux accents danse et électro sans grand intérêt « Moules Frites », « Humain à l’eau » et plus intimistes tels « Sommeil ».
Au travers de 11 morceaux assez inégaux, Stromae nous propose sa vision d’un monde à la logique de marché implacable transposée dans la sphère privée et à l’espoir menu. Baignée dans un univers musical brut et violent, l’electro dance du jeune belge peut rapidement user. Pourtant ce sont bien des perles que Stromae dissémine sur ce « Racine Carrée », confirmant son talent d’auteur et sa place à part parmi la chanson francophone.
Arnaud Le Tillau
arnaud.letillau@quai-baco.com
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