Orelsan – « Civilisation » : La Chronique
Précédé d’une promo plutôt bien menée qui a pris la forme d’un documentaire tourné par son frère sur ses années de galères, Orelsan nous revient dans un nouvel album intitulé « Civilisation ». Très attendu ce nouvel opus voit Orelsan continuer son ascension fulgurante et progressivement s’ouvrir à de nouveaux horizons grâce à un mix rap variété qui fonctionne parfaitement. Ecrit en partie pendant la pandémie et les différentes crises sociétales que la France à vu passer, ce disque très politique réussit à être juste et pertinent grâce à un niveau d’écriture bluffant. Avec une grâce et un nombre de piunchline impressionnantes, Orelsan enfonce le clou dans un « Civilisation » qui fera date.
Fidèle à la ligne directrice qu’il a pu imaginer dès son premier album, le français ouvre le bal avec un « Shonen » mettant en avant son looser anti-héros. Sur une instrumentation syncopée , Orelsan renverse la table sur une composition mêlant une fausse douceur et une vraie rage. Mettant les choses à plat dès ce premier titre, le français réalise une introduction soufflante de vérité qui ne s’embarrasse pas de faux semblants. C’est donc tout naturellement qu’il enchaine sur « La Quête » titre en forme d’autobiographie qui parlera à tout un chacun. Il dessine les contours d’une enfance normale entre déménagement, amours contrariés, et montée en puissance vers une carrière qu’on lui connaît. Une fois de plus sans détours Orelsan écrit brillamment ses doutes et ses rêves. Décrivant avec précision et humanité la quête d’un jeune qui prend conscience progressivement de son univers au travers de ses expériences , Orelsan fait sienne la maxime de Churchill « Le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ».
Il y a chez Orelsan une compréhension très fine du monde actuel. Sur un rap dur et puissant , le normand met sa plume au profit d’une dénonciation du fonctionnement sociétal actuel base sur la dictature de la beauté et de l’argent « Rêve Mieux ». Avec soin il déconstruit méthodiquement le principe des instagrammer / youtuber. En remettant l’église au milieu du village, Orelsan se pose en défenseur d’une simplicité, d’une approche saine. Il touche du doigt un fonctionnement dévoyé d’une société en perte de vitesse. Dans une série de punchline percutante il dénonce ces influenceurs.
« T’as jamais eu aucun goût c’est pas l’covid / nique ta mère, nique ton luxe et tes placements de produits / T’es pas stylé, t’es qu’un suceur d’algorithme »
Dans des textes ciselés à la précision folle, Orelsan cultive une approche à rebours d’une société de plus en plus numérisée. A l’image du magnifique « Seul avec du monde autour » où il met des mots sur les maux numériques de ceux qui nous bouffent la vie, qui nous font parfois nous éloigner de nos amis physique et nous enfermer dans un mirage d’amitié. Celui qui se dit travailleur n’en finit pas de dénoncer dans un rap d’actualité très pertinent, la place que prennent ces réseaux sociaux au détriment de notre vie sociale.
Abordant tour à tour les ravages de l’alcoolisme sur un « Bébéboa » au cynisme groovy, ou la dépression sur un « Jour Meilleur » flirtant avec la variété auto-tunée, le français n’en finit pas de nous souffler de son énergie et de la précision de sa plume. C’est d’ailleurs cette énergie que l’on retrouve sur « Manisfeste » puis « L’odeur de l’essence » qui apparaissent comme le climax de cet album. Avec ces titres, Orelsan devient très politique tout en gardant son franc parlé et sa capacité à nous entrainer dans son histoire. Dans un premier titre montant progressivement en puissance, il décrit, vu de l’intérieur, une manifestation qui dégénère rappelant au passage avec brio les tort et les difficultés des 2 bords. Toujours aussi réaliste, il fait écho dans le deuxième titre à cette violence pour dessiner en moins de 5 minutes un état des lieux d’une France fracturée.
Continuant sur un duo avec Gringe plus anecdotique et un « Dernier Verre » un peu transparent, il nous met une claque finale sur « Civilisation » titre phare qui nous en met plein la vue. Sur une instrumentation réglée avec une précision millimétrée par Skread, Orelsan signe une outre qui nous claque en pleine face. Avec une énergie folle, il réussit à synthétiser sa vision du monde et propose une nouvelle approche sans tomber dans la mégalomanie. Impressionnant.
« J’avais peur d’avoir rien compris / Maintenant j’ai peur qu’il n’y ait rien à comprendre »
Aidé de ses potes du début (Skread, Ablaye, Gringe), Orelsan nous propose un album monument, véritable claque musicale aux textes ciselés. Avec une aisance impressionnante, le français apparait avec ce « Civilisation » comme un leader incontesté d’un rap français en pleine forme. Basculant progressivement dans un mélange de variété et de rap, le normand nous livre un album lumineux et diablement précis. Multipliant les punchlines, il navigue entre cynisme et bienveillance avec un talent fou où sa plume n’en finit pas de nous mettre KO.
Note : 9.5/10
Arnaud Le Tillau
arnaud.letillau@quai-baco.com
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