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Date d'ajout : 24-06-16

Les étoiles du Grand Rex par Bruno Blanckaert

Bob Dylan, Tom Petty, Tom Waits, Crosby Still Nash and Young, Bashung et les autres… Tous les grands artistes du XXe siècle ont joué ici. Bruno Blanckaert évoque sa passion pour ce théâtre mythique et son respect pour la philosophie du music-hall, instituée par Jacques Haïk fondateur de l’Olympia et du Grand Rex dans les années 30.

Les étoiles du Grand Rex par Bruno BlanckaertBonjour. Nous sommes dans cette belle salle du Grand Rex. Alors j’ai lu qu’au début des années 1930, Jacques Haïk, producteur et distributeur dans le cinéma, est alors propriétaire de l’Olympia. Il se lance dans la construction de cette salle de cinéma complètement extravagante qui accueille 2 700 spectateurs sur une superficie de 2 000 m2, avec un plafond culminant à plus de 30 m, représentant une voûte étoilée lumineuse.

Jacques Haïk était un personnage absolument incroyable. Il fait construire le Grand Rex en 1932. Il fait un voyage à New York, est impressionné par le Radio City hall. Il contacte les architectes américains et leur dit qu’il veut la même chose à Paris. Il trouve le terrain qui appartient à cette époque à la famille Bader, propriétaire des galeries Lafayette. Les architectes construisent donc le Grand Rex. La seule différence la jauge de la salle : le Radio City Hall a 4400 fauteuils alors que le Grand Rex 2700 (1400 fauteuils d’écarts). Le décor est  classé à l’inventaire des monuments historiques, c’est une salle atmosphérique avec une voûte étoilée, avec des nuages qui passent. Face à la scène, une arche multicolore et un décor disparate témoin de ces salles prestigieuses que l’on construisaient à l’époque. A gauche, vous avez une architecture avec ce côté Sévillan, ce balcon où l’on pouvait voir une chanteuse de flamenco, à droite une statue grecque, Artémis, une espèce de méli-mélo comme les américains aimaient le faire à cette époque-là, pour que les gens rêvent avant le spectacle ou le film. Pour la petite histoire, une fois les travaux achevés, on s’aperçoit que personne n’a pensé à installer la cabine de projection. Elle a donc été construite trois mois avant l’ouverture car Jacques Haïk qui était plus un homme de spectacle que de cinéma n’avait pas pensé à la projection. Si le lecteur passe devant le Grand Rex il verra un bâtiment art déco avec une magnifique façade avec sur la gauche une espèce de verrue toute en hauteur : c’est l’escalier en fer qui a été construit pour amener la cabine de projection qui forme une excroissance pas très jolie côté rue poissonnière. Malheureusement, Jacques Haïk fait faillite au bout d’un an. Il est obligé de céder. Il va tout perdre et finir dans la misère absolue.

La grande salle a été décorée par une ville « méditerranéo-antique » en relief, située en plein air avec ses parois colorées restituant l’ambiance Art déco des villas de la « French Riviera ». Tout est resté dans son jus, rien n’a changé depuis 1932 ? 

Oui c’est notre travail et c’est une lutte permanente. La semaine dernière on devait changer un luminaire. Le garçon avec qui je parlais me disait : on le dépose et on va mettre du cristal de Venise. Je lui ai dit : il est hors de question de mettre quoi que ce soit. Vous allez trouver le verre d’origine, vous allez chercher dans le monde entier s’il le faut mais vous allez trouver ce verre un peu particulier un verre Mika. Ici chaque élément, chaque porte est respecté, c’est fondamental. Vous changez un tout petit élément et c’est foutu.

Le Rex est un véritable complexe à lui tout seul : plusieurs salles de cinéma (7)  1 salle de Concerts & Spectacles 1 club (Rex Club) et 1 Musée (Etoiles du Rex)… de multiples activités.

La salle, par la suite, devient la propriété de Jean Hellmann, un homme qui vient de la presse. Il passe un accord avec l’équipe de Paramount à New York propriétaire du Paramount Opéra (aujourd’hui le Gaumont Opéra !) pour financer l’acquisition du Grand Rex et le reprendre pour en faire une salle de prestige. Il sent que les films américains sont porteurs, que la salle est spectaculaire. Entre les deux guerres, le Gaumont Palace, Place de Clichy , est la salle de Paris la plus grande avec 5000 fauteuils ce qui est énorme. Le Grand Rex avec ses 2700 fauteuils est plus petit mais bien situé sur les Grands Boulevards. C’est une époque où il n’y a pas la Télévision. Pendant l’occupation, l’armée allemande  le réquisitionne et en fait le Soldaten Kino, un cinéma pour les soldats, avec une grande horloge dans la salle pour que les soldats n’oublient pas l’heure pour rejoindre leur caserne. La salle passe des films de propagande. Pour la petite histoire, les résistants ont envisagé de la faire sauter à plusieurs reprises puisque l’on était sûr de tuer 2000 ou 3000 soldats d’un coup. Les choses de la vie ont fait que cela n’a pas pu se faire. A la fin de la guerre la salle est restituée à la famille Hellmann qui l’entretient et la maintient. Dans les années 70, il y a une pression très forte pour le découpage des grandes salles de cinéma pour en faire les complexes que l’on voit aujourd’hui. Le monde du cinéma est en train de réfléchir à la notion de multiplexe et redetronçonne une multitude de salles. Le fils de Jean Hellmann, Philippe Hellmann  résiste mais l’offre cinématographique est forte et la mode est aux salles avec plusieurs écrans. Quelques mono salles qui existent disparaissent les unes après les autres : le Kino Panorama, le Gaumont Italie, sur les grands Boulevards il y avait le Midi Minuit de très jolies salles et bien entendu le Gaumont Palace. Philipe Hellmann réfléchit comment transformer la salle avec les espaces qui correspondent alors avec les loges, l’infirmerie. IL va essayer de gratter sous la coque et là il construit deux salles puis dans un deuxième temps il rachète un peu plus loin dans la rue poissonnière les anciens entrepôts Boussac le sentier commence à péricliter à cette époque-là et dans les années 1983-86, il construit quatre nouvelles salles. Aujourd’hui on a donc 6 salles plus le Grand Rex soit 7 salles. On répond donc à la demande du public qui réclame de la diversité.

Les étoiles du Grand Rex par Bruno BlanckaertEt puis, il y a ce musée les Etoiles du Rex un beau parcours…

Alors oui ce parcours est crée plus tard, dans les années 2000. A cette époque, nous allons voir ce qui se passe au radio City hall de New York, la grande sœur du Grand Rex. On découvre une visite du cinéma à l’américaine qui est faite avec de jeunes étudiants habillés avec des costumes années 30 et qui racontent l’histoire du cinéma. De notre côté, nous avions déjà une forte demande de la part du public pour pouvoir visiter la salle. Comme la salle fonctionne de 10 heures du matin à minuit c’est compliqué. Alors on décide d’utiliser les combles comme on l’avait fait en créant dans les sous-sols des nouvelles salles de cinéma dans les années 80, on décide d’utiliser les parties en hauteur dont on ne sert pas qui sont un peu les » arrières cuisines » et de créer un parcours de 45 minutes qui  raconte à la fois l’histoire magique de la salle  avec toutes les célébrités tous les événements qui se sont passés ici et puis  comment on fait un film , les effets spéciaux … pour aboutir à sa projection depuis la cabine du Grand Rex.

Et puis chaque année aussi pendant les fêtes de Noel il y a la traditionnelle féerie des eaux…

Dans les années  70, Philippe Hellmann se rapproche des studios Disney et révolutionne la date des sorties des dessins animés en les positionnant à Noël . Aux Etats Unis le pic de fréquentation des salles est en juillet donc les films sortent à cette période vers le 04 juillet qui est la date de l’indépendance des USA. L’idée de Noël est un succès incroyable puisque le Grand Rex  alterne 5 à 6 séances par jour. Je crois que le record est de 7000 spectateurs dans la même journée. Il faut aussi remettre les choses dans leur contexte, à cette époque, les spectateurs n’ont pas la télévision le cinéma est encore un spectacle à part entière. On a donc conservé cette tradition que l’on a agrémenté de la féérie des eaux un spectacle que l’on présente en première partie du film et qui est de plus en plus important au fil du temps. Aujourd’hui les spectateurs viennent voir  la Féérie des Eaux comme un spectacle à part entière avec ses lasers, ses jets d’eau. L’an dernier les spectateurs sont venus pour ce spectacle et accessoirement le film. Notre rêve serait de faire ici comme avec le Christmas Celebrate au radio City Hall un vrai spectacle de Noel.

Parlons des différents événements combien de spectacles accueillez-vous ici chaque année ? Vous lancez les concerts…

Lorsque j’intègre l’équipe dans les années 80, je quitte le métier d’avocat après avoir gagné quelques dossiers dans le cinéma. Philippe Hellmann me présente la salle du Grand Rex. Je vois cette salle poussiéreuse, avec des gens que je considère comme très âgés moi qui ai alors 30 ans. Je confirme que je ne voudrais jamais travailler ici. Il avait raison j’avais tort. A cette époque, tous les gens de mon entourage, mes copains, mes proches, personne ne connaissait le Grand Rex. Aujourd’hui vous dites je vais voir un spectacle au Grand Rex personne ne vous regarde d’un air étonné. Nous avons donc réussi un travail de ce côté-là. Le lieu est devenu une référence dans le parcours des artistes et des tourneurs, un lieu incontournable. Mais reprenons la chronologie, Je renouvelle d’abord le genre du cinéma, des avant-premières prestigieuses, les premiers épisodes de la saga Star Wars, des choses plutôt amusantes. On fait un succès sur le pôle cinéma. Je pense alors : ce n’est pas possible d’avoir une salle d’une telle qualité sans pouvoir y faire de concerts. L’équipe ne connait pas le monde de la musique mais j’ai carte blanche pour démarrer avec un concert le mardi soir. Comme ça marche, je récupère le jeudi et de fil en aiguille, je fais les programmations musicales comme je l’entends. C’est la chance de ma vie car j’adore la musique, le rock des 70’s et des 80’s période très créative. Chaque lundi, je faisais le tour des disquaires et j’attendais ce qui arrivait des Etats Unis et d’Angleterre c’était incroyable tout ce qui sortait. Moi, j’ai une salle de 3000 places et j’ai la chance de pouvoir programmer qui je veux. Je vais voir des organisateurs comme KCP qui programme les Rolling Stones à l’époque mais ils ne sont pas nombreux encore à programmer du rock. C’est un peu ghetto le rock à l’époque. Les groupes jouent à la Villette car ce sont des anciens entrepôts de boucherie on les fait jouer dans ce genre d’endroit car on a peur du rock. Il y a l’Olympia mais là c’est du rock déjà consacré. Ils avaient fait dans les 60’s les Beatles mais du bout des doigts. Le Palais des Sports commence, lui aussi, à ouvrir ses portes au rock. Mais à l’époque, quand Pink Floyd est sur scène les CRS sont à l’entrée. Donc je me fais plaisir avec des artistes anglo-saxon les premiers étant les Pointer Sisters en 1985. D’ailleurs le concert est filmé. Ensuite, je fais Al Di Meola, le canadien Daniel Lavoie qui triomphe à l’Olympia qui doit trouver en catastrophe une autre salle. Puis j’enchaine Matt Bianco, Madness, James Taylor, Sonny Rollins, Bashung en 1986, Crosby Still Nash and Young, Echo and The Bunnyman, Suzanne Vega, Leonard Cohen, Chris Rea, Rye Cooder, Brian Ferry, Stray Cats, Bob Dylan, Tom Petty, Chick Corea, Fleetwood Mac, BB King, Ray Charles, Sheryl Crow ; Nick Cave, des noms qui nous rappelle un passé inouïe .. le jazz vient lui aussi Michel Petrucciani, Herbie Hancock, Phil Colins avec son big band…Dead Can Dance un concert un peu spécial programmé à minuit où je vois 2500 corbeaux comme on les appelait habillés tout en noir qui ne font pas un bruit. Petit détail, on fume encore en salle dans ces années-là. Lhasa, c’est une histoire d’amour. J’ai adoré ses trois concerts au Grand Rex. Je lui ai fait des déclarations d’amour, je la respectais, c’était une vraie artiste. Et puis dans les années 2000, Radiohead un concert incroyable, inimaginable 1200 personnes donc pas complet ils ont ramé. Après la musique world arrive avec Marisa Monté, Paco De Lucia, Bjork un concert là encore incroyable un des plus beaux de ma vie. Elle débarque en plein mois d’Août avec un décor de glace. On fait des essais mais ça fond trop vite. Donc elle reprend son tour dans la nuit du 18 août 2001. Je suis seul en face de Bjork dans la salle en train de revoir son show. Puis ,  les français suivent Brigitte Fontaine, Mathieu Chedid, Bénabar. La 2eme femme de ma vie artistique arrive en 2004 c’est Césaria Evora. Je lui fais tellement de déclarations d’amour que jusqu’à sa disparition elle n’ira plus chanter ailleurs.

L’Olympia,  le Rex, finalement la jauge est la même. Quelle offre différente apportez-vous ?

J’ai pris des risques, de parier sur une nouvelle génération d’artistes qui ne seraient jamais venus comme Nouvelle vague. J’ai refusé pas mal d’artistes dont je tairais le nom préférant un Bénabar qui commençait par exemple. J’ai fait venir Higelin qui est un personnage flamboyant qui était venu avec les Zap Mama. Tout mon travail a été non pas de concurrencer l’Olympia, mais de trouver un angle différent pour attirer les artistes et le public. Mais le côté prestige du Grand Rex avec un spectacle nouveau ça a plu. Au-delà du fait que la scène est basse, proche du balcon, on a une sorte de proximité rare pour une salle. Lou Reed, Nick Cave ont insisté pour venir jouer ici. Parmi les moments les plus extraordinaires, il y a le concert de Bjork, celui de Bob Dylan qui a nous a fait une surprise : pour la première partie de son show il est habillé de blanc pour chanter que des titres du répertoire d’Elvis Presley. Après il est parti se changer et il a fait son répertoire habituel. Le public était complétement paumé, personne n’a rien compris.

Les étoiles du Grand Rex par Bruno BlanckaertPour la partie cinéma, la salle est chargée d’histoire, Hitchcock qui vient présenter les Oiseaux, Gary Cooper inaugure l’escalier mécanique..

Oui c’est le premier cinéma après le radio City Hall a avoir un escalator. Jean Hellmann fait une soirée d’inauguration avec Gary Cooper et Mylène de Mongeot. Il organise aussi la nuit des césars et fait venir le tout Paris, qui ne se déplace qu’en voiture,  en métro. Il obtient de la RATP que la ligne Invalides Bonne Nouvelle soit privatisée ce soir-là. Il fait garer les voitures place des Invalides font monter les gens dans le métro et pour les faire descendre au métro bonne nouvelle pour la nuit des Césars.  C’est un grand moment de l’histoire du cinéma.

Parmi tous ces coups de cœur lequel vous a marqué…

Un de ceux qui m’a le plus marqué c’est Tom Waits. Il arrive seul sur scène dans le noir il a un chapeau melon avec plein d’étoiles, on aperçoit un faisceau de lumière sur ses mains, il commence un morceau au piano en battant le rythme avec le pied. Au sol se trouve de la farine et à chaque battement de pied la farine remonte et l’entoure d’une espèce de voile blanc le faisceau de lumière se détache de ses mains pour aller frapper les étoiles sur le chapeau. Nous sommes 2500 personnes à penser que l’on tout à coup une espèce d’ange céleste en train de jouer pour nous. Il y a un silence jusqu’à la fin du morceau. Ensuite la salle devient folle. D’ailleurs sa femme me dira par la suite que c’est l’un de ses plus beaux concerts qu’il ait jamais donné de sa carrière. C’est un souvenir magique.

Des concerts, de l’humour, du music-hall, de la comédie musicale, vos activités sont polyvalentes…

On réalise autour de 120 événements chaque année. Aujourd’hui je m’oriente vers des productions de plus longue durée même si je continue d’accueillir des concerts. J’accueille des shows sur plusieurs jours comme Messmer ou Bharati. Ce spectacle a été conçu à partir de la configuration en intégrant l’arche du Grand Rex. La concurrence dans Paris est devenue plus forte, l’offre se diversifie il y a de plus en plus de salles de spectacles, Pleyel va être programmée en variété, la Philharmonie s’amuse aussi à faire des cartes blanches en variétés, les théâtres le Casino de Paris, les Folies Bergères aussi offrent une programmation variée. …

Vous avez programmé beaucoup d’artistes français et étrangers etc… Quel artiste aimeriez-vous voir figurer à votre palmarès ?

Il y a Grégory Porter en jazz, et puis un groupe que je ne lâcherai pas tant qu’ils ne seront pas venus ici : c’est Angus et Julia Stone. Je les ai découverts au Casino de Paris, je les ai vus à Londres je vais aller les voir en Nouvelle Zélande d’où ils sont originaires je les ai suppliés et ils vont venir. Pour moi, c’est le groupe de ces dix prochaines années.

Pour certains spectacles, le cachet de certains artistes s’envolent. Prenons le cas d’Elton John où les billets étaient proposés entre 100 à 249 euros à l’Olympia dernièrement. Le prix d’entrée n’est il pas devenu excessif ? Jusqu’où le spectateur peut aller pour s’offrir un artiste aujourd’hui ?

La question du prix juste est éternelle. Au Grand Rex, nous avons toujours veillé à maintenir des prix raisonnables Tom Waits excepté car c’était une seule représentation pour l’Europe. Le coût de production est énorme quand on a une seule et unique représentation vous pouvez faire le calcul entre les billets d’avion, l’hôtel, la salle etc…J’essaye de limiter la casse. Nous avons le balcon où le tarif des places oscille entre 40 et 90 euros. Nous avons donc 800 places dans des catégories de prix abordables. Et franchement pour y aller régulièrement, il n’y a pas d’angles morts, vous êtes très bien placé. Surtout qu’aujourd’hui la salle est bien sonorisée, les ingénieurs du son savent bien arroser la salle.

Ressentez-vous les effets de la crise ?

Non, absolument pas. Nous sommes dans une salle prestigieuse, bien située au centre de Paris un vivier de 10 millions d’habitants. On trouve facilement 2700 personnes.  Les tourneurs me disent qu’ils la ressentent beaucoup plus en Province en réalité. Hormis Radiohead en juin 2000 qui n’avait fait que 1200 spectateurs…cela ne les a pas empêchés de devenir les stars qu’ils sont devenus aujourd’hui.

Les grands directeurs artistiques au siècle dernier (là je pense à Bruno Coquatrix qui était lui aussi chef d’entreprise et aussi jazzman émérite !) étaient tous un peu des enfants de la balle. Aujourd’hui le métier a changé : peux-t-on avoir la même vision, la même philosophie que ces personnalités en matière de gestion ?  

Quand on est une salle indépendante comme la nôtre, on n’a pas d’autres contraintes que de faire en sorte que le public vienne. Mais je n’ai pas de comptes à rendre au niveau national ou international. J’ai la liberté de faire un peu ce que je veux au Grand Rex. Je ne suis pas dépendant d’un groupe d’investisseurs, pas de pression financière, la salle n’a pas été acquise la semaine dernière par un fond de pension. On est dans un schéma de rentabilité et d’équilibre mais pas dans une course au profit avec des ratios de rentabilité…c’est ma chance. C’est cette indépendance qui est la source et la clé du succès du Grand Rex. Dès que l’on a des hommes de conviction et de talent à la tête des salles parisiennes, des hommes qui ne se contentent pas d’attendre derrière leur bureau que les producteurs viennent les voir, ça marche. Pour moi cela a été une bataille. Il ne faut pas croire que tout cela soit arrivé tout seul. Tout ça c’est un boulot il faut aller chercher les groupes, je me déplace je vais à NYC…Quand je croise F Jérôme quand je vais à NY dans des rendez-vous professionnels, on en rit mais on est des gens passionnés, des gens de convictions.  Ici ça a été la chance de ma vie. Quand je vois le bonheur d’avoir passé trente années sans les voir passer. Je me surprends après tant d’années à avoir toujours un vrai plaisir. Mais cette chance j’ai dû la forger. Vous les sentez les salles à Paris qui ont une âme, un cœur…Accor Arena au-delà de l’appellation qui est épouvantable, cette appropriation d’une marque d’hôtel d’un lieu que tout le monde connaissait sous le nom de Bercy, tout cela est détestable. Cela revient à dire que le lieu est neutre. C’est une stratégie, les groupes financiers n’aiment pas que les hommes soient trop forts, trop indépendants et particulièrement les anglo-saxons. Dès que vous avez des comptes à rendre à des banquiers, des fonds de pension ou des investisseurs, ils détestent avoir en face des hommes de convictions. Ils préfèrent des gens qui baissent la tête et qui acceptent tout et n’importe quoi. J’ai cette chance d’avoir pu pouvoir dire non à certains moments, considéré comme un refus de vente dans les années 90. Cela m’a valu des procès mais peu importe. J’ai refusé dernièrement une grande comédie musicale très populaire pour laquelle j’aurais pu faire de très belles recettes mais je trouvais qu’elle ne correspondait pas à l’image de marque de la salle. Je préfère renoncer pour garder cette ligne éditoriale.

En quelques mots, quelle est l’image de marque du Grand Rex ?

Le Grand Rex est une salle populaire mais de grande qualité cela vaut pour la salle en elle-même jusqu’aux toilettes que nous avons refait dernièrement avec une déco 1930. Depuis nous n’avons plus aucun graffiti sur les murs. Rien. Plus on tire les gens vers le haut plus ils respectent le lieu. Et le Grand Rex est surtout le salle la plus mode de Paris.

Vous avez un contact privilégié avec les artistes. Avez-vous des anecdotes à nous raconter ? Des caprices de stars ? des anecdotes en coulisses ? des petites choses amusantes ou dramatiques d’ailleurs…

Un concert de Madness dans les années 1980. Avec le producteur Alain Lahana, on voit un groupe se former au milieu de la salle et qui se met à danser avec leurs grosses chaussures les Doc Marteens, debout sur les fauteuils. On était tous les deux derrière la scène en train de compter les fauteuils qui volaient sur la scène. Là je lui dis : » vaudrait mieux que tu appelles ton assureur ».  On en a eu 25 fauteuils cassés. Le lendemain je lui ai envoyé un fauteuil et lui m’a envoyé une paire de Doc Marteens.

Une autre anecdote. Pour les concerts de Julien Clerc, Jacques Renault son producteur organise un catering avec un cuisinier italien vraiment exceptionnel. Du coup, tout Paris venait dîner au catering. Un soir Julien Clerc débarque au catering après son concert, on devait être 15 ou 20 à dîner. Mais qu’est-ce que vous faites tous ici ? Mais ce n’est pas un restaurant ici … » il s’est mis à gueuler comme un veau ». Le chef a ensuite ouvert un restaurant rue de Sévigné qui est devenu un must absolu.

Avec Michel Delpech nous avons fait un beau travail pour remonter sa carrière sur 10 ans jusqu’à l’aboutissement artistique, ce concert avec des duos autour de ses chansons. L’album s’est vendu à 350 000 exemplaires, la captation du concert est en DVD. C’est une séquence importante dans la carrière de Michel. C’est un travail que nous avons fait en commun pendant 10 ans de belles années d’amitiés et de camaraderie profonde.

Et puis , bien entendu, le plus exceptionnel concert à Paris de Prince au Rex Club, concert qui suivait celui de Bercy , un de plus grands concerts de l’histoire de notre lieu .

Des désirs des envies pour le futur ?

Continuer à faire notre métier le plus longtemps possible, de manière indépendante. A moins de faire de grosses bêtises, la salle continuera de toutes manières. Son volume est un atout aujourd’hui ce qui n’était pas le cas dans les années 80. 2500 places, c’est vraiment une bonne jauge.

Propos recueillis par Jean-Christophe Mary


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