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Date d'ajout : 06-03-15

Jean-Jacques Goldman : Réac, vous avez dit réac ?

A moins d’avoir hiberné ces derniers jours, vous êtes forcément au fait de cette colossale polémique autour du dernier titre de Jean-Jacques Goldman (« Toute La Vie ») au profit des Enfoirés. Cette affaire est née sur les réseaux dits sociaux qui sont à l’expression des idées ce que le rot est au reflux gastrique. Cette chanson serait donc réactionnaire, car méprisante pour la jeunesse. Sarkozy, sors de ce corps. Pour quelle raison une telle accusation si infamante, aussi abrupte qu’injustifiée ? L’argumentation qui nous est proposée est pauvre car il faut faire court sur Twitter ou Facebook.

Jean-Jacques Goldman : Réac, vous avez dit réac ? Faire court quitte à faire mal, ou plutôt pour sciemment faire mal est la doxa d’internet. Cette exigence de concision à l’extrême, propre à l’exercice, est une défaite lamentable de la pensée, car exprimée de cette manière sans être étayée, développée, explicitée, elle ne peut se structurer en un raisonnement.

Internet s’affole par onomatopées et le scandale passe ensuite à la télé obligeant l’artiste à publier un communiqué censé expliquer le sens de la chanson, comme un vulgaire politicien pris en faute sur une citation-coupée-de-son-contexte. La pression médiatique montant d’un cran, le chanteur viendra donc rendre compte sur Canal Plus, organe officiel du mainstream dominant.

Sa défense sera… défensive et ironique. Il ne comprend pas ce scandale car le titre a déjà été joué, avec toute l’équipe des Enfoirées, devant des milliers de spectateurs sans provoquer de réaction et puis, conclue t-il, ce n’est qu’une chanson.

Passons sur le fait que les artistes, pas forcément analphabètes, qui l’interprètent, dont Le Forestier, aux orientations politiques bien éloignées de la réaction, n’aient rien trouvé à redire au texte. La chanson, loin du meilleur de Goldman, est construite autour du thème du conflit des générations, les jeunes reprochant aux anciens l’état du monde qu’ils leur laissent. Antienne tellement classique. « Banalesong »  chantait Souchon.

Mais ce qui déplaît dans le texte, c’est la réaction des anciens, paternalistes à souhait, leur disant en gros de se montrer dynamiques et volontaristes : « ce qu’on a, on l’a pas volé ». Et ça monsieur, c’est pas bien. Mieux vaut rester bien calé sur ses petites fesses, entretenu par la société-qui-n’a-rien-compris en général et ses parents, en particulier, et envoyer des Tweets assassins bien peinards du fond de son plumard.

Pourtant Goldman est un dangereux récidiviste. Il ne disait pas autre chose quand il parlait de la banlieue et de son envie irrésistible et volontaire d’en sortir dans « Envole Moi » (Positf, 1984) : « A coup de livres je franchirai tous ces murs ». Il ne se pose pas en victime, refuse la violence (« S’il le faut j’emploierai des moyens légaux »). Il entend exprimer son libre arbitre.

Même conception dans « Encore Un Matin » (Positif, 1984) : « Matin pour attendre la chance ou bousculer les évidences /Un matin, ça ne sert à rien sans un coup de main ». La responsabilité individuelle, valeur de la réaction ?

La vraie surprise n’est donc pas là où on le croit. Elle est en fait double :

Tout d’abord, c’est bien la première fois en 35 ans de carrière que JJG se voit obligé de commenter une de ses chansons, et de répondre ainsi à des accusations pas si anodines que ça, le positionnement politique de l’homme ayant toujours été proche de celui de Rocard et de la deuxième gauche, il doit sûrement peu apprécier d’être si mal compris, même par des ignares ou des sourds.

Par ailleurs, et c’est bien là l’essentiel, il a déjà écrit des chansons dérangeantes, rompant parfois violemment avec l’angélisme et le politiquement correct, ce qui aurait mérité, non pas des invectives si gourdes, mais des questionnements justifiées.

Ainsi, sur le dernier album studio paru en 2001, « Chansons Pour Les Pieds », le titre et single « Les Choses » dont le thème est de tourner en dérision- et avec quel talent-les consommateurs compulsifs. Notez comment les acheteuses obsessionnelles sont décrites : « Des choses à vendre, à mettre, à soumettre, une femme objet qui présente bien /Un tatouage…. Je veux l’image et c’est tout, le bon langage, les idées qu’il faut /C’est tout ce que je vaux ». Les féministes auraient eu, pour le coup, matière à scandale. Le titre passa intensément en radio en cette année 2001 sans provoquer la moindre réaction.

Autre chanson, immense succès : «Né en 17 à Leidenstadt » (FGJ, 1990). Lui, le fils de résistant juif et communiste, se demande avec humilité et réalisme ce qu’il aurait fait pendant la guerre. Aurait-il été aussi courageux ? Le texte est magnifique, délicat, et chacun peut s’identifier avec ces questions laissées en suspend. Mais la dernière phrase dérange. Bien plus même, elle est inadmissible : « Et qu’on t’épargne à toi et moi, si possible très longtemps,d’avoir à choisir un camps ». Cette fin n’a rien à voir avec le reste. Se demander si le courage nous habiterait en cas de circonstances exceptionnelles est très clairvoyant.

Mais refuser l’idée d’avoir à choisir un camps, ou en tout cas espérer que cela n’arrive pas, revient à considérer l’individu comme un être cynique et amoral, préservatif de sa petite personne.

Alors, est-ce là une version moderne des Deux Oncles, qui fit tant scandale en son temps, Brassens renvoyant dos à dos ces deux individus l’un ayant été résistant, l’autre collabo, en ne nivelant pas moralement leurs actes ?

Alors, vrai scandale ou tsunami dans un dé à coudre ?

Arnaud Berreby – arnaud.berreby@orange.fr


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